Femmes fatales

12 janvier 2015

Femmes fatales

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Fatale, le mot fait doublement rêver. Fatale aux hommes bien sûr, la femme l’est aussi au sens antique (fatum, le destin) : elle incarne l’inéluctable. Comme le destin, elle est forcément énigmatique. A l’éternelle question masculine « Mais qu’est-ce qu’elle veut ? », elle n’oppose que son mystère insondable.

De la mythologie grecque au cinéma hollywoodien, la femme fatale hante toutes les époques.  Mais elle ne cesse de changer de visage.

Depuis l’Antiquité, les figures réelles ou mythologiques de femmes dangereusement belles, tentatrices, criminelles… n’ont pas manqué. Mais elles n’étaient heureusement pas le modèle unique. Les chrétiens descendaient d’Eve, la tentatrice, et adoraient Marie, la mère du Sauveur. L’éternel féminin restait coupé en deux.

Eve

Dans la Bible, Eve n’occupe que quelques versets au deuxième chapitre de la Genèse, mais elle sera, avec Marie, le personnage féminin que les chrétiens représenteront le plus souvent. En général, elle est vue comme la cause de la chute originelle, la première pécheresse, plus rarement comme la mère de tous les hommes. Les peintres symbolistes soulignèrent sa connivence avec le serpent.

Dalila

Pour venir à bout du géant hébreu Samson, les Philistins firent appel, contre une importante somme, à sa maîtresse, la superbe Dalila. En interrogeant Samson, elle perça le secret de sa force invincible : sa chevelure. Pendant qu’il dormait à ses côtés, elle le rasa. Samson tomba alors sans résistance aux mains de Philistins qui lui crevèrent les yeux. Devenue, dès la Bible symbole de la félonie féminine, Dalila inspire de nombreux tableaux symbolistes et un opéra  célèbre, Samson et Dalila (1877) de Saint- Saëns.

Salomé

L’Evangile rapporte le supplice de saint Jean- Baptiste sans citer le nom de Salomé (qui nous est connu par Flavius Josèphe). Hérode, le tyran de la Galilée, donnait un banquet. Salomé, la fille de son épouse Hérodiade, dansa si merveilleusement qu’il lui dit : « Tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai. » Salomé demanda qu’on lui apportât sur un plat la tête coupée du prophète. Salomé devint parmi les sujets les plus souvent traité en art.

Pandora

Les dieux voulant punir les hommes qui, grâce à Prométhée, leur avaient volé le feu, envoyèrent la belle Pandora. Epiméthée, le frère de Prométhée, l’épousa. A peine mariée, Pandora ouvrit la jarre scellée que les dieux lui avaient confiée avec interdiction de l’ouvrir. A l’instant se répandirent sur l’humanité les pires fléaux : faim, soif, guerre et violence.    

 

C’est plus tard, dans le grand reflux de la religion, que les premières « fatales » pointent leurs minois dans la littérature. Comme Manon de l’abbé Prévost, elles sont d’un naturel enfantin, instinctif, irrésistible. Pas perverses, simplement amorales. Leur curiosité naturelle, leur appétit insatiable de liberté et de jouissance les rendent dangereuses pour leurs amants et même pour tout l’ordre social. L’honnête Des Grieux, pour l’amour de Manon, manque à tous ses devoirs et finit par la suivre en Louisiane lorsque l’aventurière- prostituée est condamnée au bagne. L’héroine de l’abbé Prévost, charmante écervelée au grand cœur, est pour la société une vraie bombe. 

En 1845, Prosper Mérimée lance avec Carmen, la bohémienne indomptable, une femme fatale infiniment plus élaborée.  Elle a la beauté et le naturel de Manon, mais le tempérament méridional, la fougue et la passion de la liberté en plus. Son amant don José, s’il ne peut en devenir maître, n’en sera pas non plus l’esclave. Cette longue nouvelle installe dans un cadre pittoresque, une Espagne misérable sur fond de castagnettes, une vraie tragédie populaire. Carmen ne deviendra célèbre qu’en 1875, avec l’opéra de Bizet. Mais après tout, Carmen n’est qu’une femme singulière et exotique.

Que serait le cinéma sans Louise Brooks et Rita Hayworth ?

C’est au siècle suivant, dans la grande perte de toutes illusions romantiques et libérales, que la femme fatale s’impose comme modèle unique de la Femme. Cet immense fantasme va alors faire frémir voluptueusement artistes, poètes et peintres, romanciers et cinéastes, compositeurs et stars du music-hall, pendant plusieurs générations. Pâle et satanique, la « vamp » tient toujours l’affiche, nudité bardée de bijoux ou sanglée de cuit noir.  Les anges sans cœur ne sont pas de quitter l’écran Tout y est : le corps, les yeux, l’ambiguité, le pic à glace, et ce désir millénaire d’y laisser toutes ses belles plumes. Absolument toutes.

Surexploité commerciellement, est-il temps ce modèle à réinventer ?

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